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Le départ

  • Photo du rédacteur: Maya APRAHAMIAN
    Maya APRAHAMIAN
  • 15 sept.
  • 2 min de lecture

Il était une fois. 1947.

Sarkis a 22 ans. Joueur de foot reconnu au LOU, le club de foot Lyon Olympique Université, né pourtant dans le Var à la Seyne sur mer. L’aîné d’une fratrie de quatre.


Leurs parents ont fui le génocide de 1915. Cette nuit du 24 avril où les notables furent arrêtés, exécutés. Puis l’exode, les marches forcées, les déportations. Hommes, femmes, enfants, bébés. Deux tiers d’un peuple anéantis. Une nation brisée, à peine debout.


Trente ans plus tard, Staline promet aux Arméniens de la diaspora un retour au pays, des terres, du travail, l’illusion d’une vie meilleure. Deux paquebots partent de Marseille, emportant 5000 âmes.


La famille de Sarkis se présente au départ. Quatre enfants nés en France. Les douaniers refusent. « Pas question que des petits Français partent pour l’Arménie soviétique. » Mais le père ne renonce pas. Le soir venu, il cache ses enfants parmi la foule. Pendant qu’on détourne l’attention des gardes, Sarkis, Rose, Madeleine et Rupen montent en secret sur le paquebot.


Le patriarche revient avec son épouse. Les passeports ne collent pas : quatre noms d’enfants inscrits, mais pas d’enfants à leurs côtés. Les douaniers flairent le piège. « Les Arméniens ne laissent jamais leurs enfants », disent-ils. Refus. Le navire appareille.


Et voilà : quatre enfants seuls, arrachés à leurs parents, embarqués vers l’inconnu. Sarkis, le père de mon homme, 22 ans, propulsé chef de famille. Rose, 18 ans, encore une adolescente. Madeleine, 13 ans. Rupen, le père de la cousine, 11 ans à peine. Une petite tribu livrée à elle-même, qui traverse la Méditerranée et des centaines de kilomètres de rails jusqu’à Erevan.


Là-bas, pas de paradis. Juste la faim, le froid, la misère. Mais aussi une fraternité indestructible. Sept années à survivre sans leurs parents, à s’accrocher les uns aux autres, jusqu’au jour où enfin, les retrouvailles furent possibles.

Survivant à la peur, aux brimades encore et encore. À la politique de dénonciation.

Et pourtant…

La fratrie s’unit et résiste. Sarkis épouse Tamara, Rupen épouse Anahit. Une nouvelle génération naît. 20 ans pour revenir. 20 ans à entendre le mot «refusé» pour évoquer les vaines tentatives de retrouver la France. Avant que l'ingéniosité familiale permette d'obtenir le sésame vers la liberté. Encore une fois, il fallu reconstruire une vie.


Et aujourd’hui, les cousins reviennent sur les lieux de l’enfance, dans ce quartier de Chaoumian, propret, malgré la pauvreté de certaines habitations. Une voisine reconnaît « le petit garçon désobéissant , mon homme, et appelle son frère presque nonagénaire comme elle. Elle offre café, gâteau, pêches, brandy. Plus loin, une veuve ouvre sa maison, l'ancienne maison de mon homme. Comme les autres, cette dame généreuse avec rien. La cousine retrouve son ancienne habitation et celle juste à côté, celle d'une autre cousine où ses nouveaux occupants offrent café et raisin du jardin.


L’émotion culmine.


La boucle se referme. Quand un descendant retrouve ses racines et la terre qui l’a nourri, il sait dans quelle direction déplier ses feuilles.

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